samedi 20 novembre 2010

Polnarévolution, 1972 - Grandeur, puis décadence

En 1972, soit 10 ans avant ma naissance, j'aurais pu aimer Michel Polnareff pour ce qu'il était, et non pour ce qu'il avait été. Malheureusement pour moi, je ne peux aujourd'hui qu'admirer une gloire passée qui n'a plus rien  de génial ni d'impressionnant. Les vestiges d'une époque, en quelque sorte (mais n'est-ce pas le cas de beaucoup de trucs que j'écoute ? En écoutant le nouveau Ray Davies, on peut se poser la question).

En 1972, Michel Polnareff est au sommet de son art, au sommet de son talent. Le jeune garçon timide et génial est en train de se transformer en mégastar mégalomane. Le tournant se joue précisément pendant cette série de concerts à l'Olympia, au mois d'octobre.

En 1993, je me suis retrouvée en possession d'une cassette audio sur laquelle ce live avait été enregistré à l'époque, par mon père. J'adorais tellement cette cassette, que je dormais presque avec (je m'endormais avec mon casque de walkman sur les oreilles). Malheureusement, quiconque me connait un peu sait que je suis d'un naturel désorganisé, voire, pour certains, carrément bordélique. A force de balader la cassette au fond de mon sac, un jour, ce qui devait arriver arriva : une miette de pain au chocolat se glissa à l'intérieur. Terrorisée à l'idée de voir disparaître ma précieuse cassette, je tentai tout, pendant plusieurs jours, pour faire sortir l'intruse, sans succès. La seule chose que je réussis à faire, ce fut retourner la bande à l'intérieur de la cassette, ce qui la rendit complètement inaudible.

Ne voyant plus d'issue au problème, j'avais fini, en désespoir de cause, par dérouler entièrement la bande de la cassette dans tout l'étage de la maison de mes parents, avec tout le soin et la minutie dont j'étais malgré tout capable. Miracle : en secouant légèrement, la miette de pain au chocolat finit par sortir. Dotée d'une patience à toute épreuve dans ce genre de situations, j'entrepris donc de rembobiner doucement la cassette avec un crayon à papier. L'opération dura un nombre d'heures effarant, tout ça pour pour une simple cassette (à l'époque déjà, la logique aurait dû me suggérer de racheter simplement cet album en CD, mais j'en étais hélas totalement dépourvue), mais s'avéra payante : elle remarcha si parfaitement que je peux encore l'écouter aujourd'hui dans mon vieil autoradio.



Malgré le son assez pourri de cet enregistrement live, on y retrouve de merveilleuses versions de quelques uns des tubes de Polnareff. Son chef-d'œuvre ultime, le Bal des Laze, y est absolument magistral avec une basse et une batterie qui lui donnent une urgence que la version originale n'a pas, l'orgue pour le côté "je chante depuis mon cachot humide" et la flûte traversière pour le côté aristocratie... La voix de Polnareff y est parfaite, posée, moins plaintive qu'à l'ordinaire, d'un calme et d'un détachement qui retranscrivent idéalement l'état d'esprit de son personnage.

La Mouche et la Maison vide, elles aussi dans des versions plus rapides, sont d'une intensité qu'on ne retrouvera plus jamais (quand je pense au live auquel j'ai assisté, j'ai toujours envie de pleurer). Polnareff a encore de l'humour vis-à-vis de lui-même, un recul qu'il n'a eu de cesse de perdre depuis. Il rit de ses ennuis avec la justice sur On ira tous au paradis en ajoutant la phrase "qu'on montre son cul ou qu'on ne le montre pas", faisant référence à la polémique suscitée par la célèbre affiche du spectacle. Il interprète d'ailleurs cette chanson avec une voix grave et sobre qu'il oubliera parfois d'utiliser par la suite, au profit d'emphases et d'envolées lyriques pas toujours bienvenues. Même Gloria et Ca n'arrive qu'aux autres perdent de leur pathos et deviennent touchantes. Sur Love me, please love me, il improvise au piano  avec une facilité et une maîtrise de virtuose. Quant à La Trompette, c'est une véritable démonstration des capacités vocales et rythmiques du chanteur.

Après cette tournée, Polnareff se laissera engloutir par ses propres démons, se fera voler son argent, s'exilera aux Etats-Unis où la Californie achèvera de l'encourager dans le mauvais goût bling bling, cèdera bien trop souvent à la facilité et composera des daubes sans nom... Resteront quelques pépites malgré tout, à sauver du carnage : Le Prince en otage, L'homme qui pleurait des larmes de verre, ou Une histoire lamentable (oui, perso, j'adore cette chanson), mais finalement, peu de choses réellement dignes d'intérêt.

Aux dernières nouvelles, le vieil homme bedonnant attendrait, à 66 ans, son premier enfant... A la limite, c'est pas plus mal, espérons que ça l'occupe suffisamment pour que jamais ne sorte son "nouvel album" tant attendu par les hordes de fans que la nostalgie rend sourds. Il a déjà suffisamment essayé de nous faire oublier à quel point il avait pu être un génie.

4 commentaires:

  1. Que dire ? C'est ce qui s'appelle un retour en fanfare (non, je ne fais pas allusion aux arrangements de la dernière tournée de Polnareff). Très bel article, drôle et très bien écrit (j'ai un peu honte mais j'avais presque oublié comme tu étais douée).

    Polnarévolution est effectivement un formidable album, dont le son a hélas vieilli (mais je crois que c'est parce qu'il n'a jamais été remastérisé correctement, un comble puisqu'à l'époque cette série de concerts était une véritable révolution... technologique). Je te trouve un peu dur avec ce qu'il a fait après, Polnarêve étant quasiment mon préféré avec le premier. Mais bon, c'est chipoter.

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  2. C'est amusant, ça fait un mois que je me dis que le prochain article du Bûcher sera une apologie interminable de Polnareff, je ne cesse de reporter par pure flemme et finalement, quelqu'un d'autre écrit dessus un chouette papier, et je n'ai plus du tout envie de m'y mettre. :D

    Comme tu le dis, il a bien mal tourné... En me promenant dans la rue il y a quelques semaines, je suis tombé sur la une d'un journal avec la photo d'un "vieux beau", comme on dit, bronzé et décoloré comme une version porto-ricaine de Johnny Winter... — j'ai mis plusieurs secondes à réaliser que c'était le même homme qui chantait dans mon baladeur, une de ses plus belles chansons, "Le Désert N'Est Plus En Afrique." Il y a un nombre invraisemblable de chefs d'oeuvre dans sa production des années 66/72, dans les mélodies, les arrangements, il faut se pincer pour y croire, et après patatras...

    Bel article en tout cas ! (je ne pourrai plus écouter ses chansons sans penser à une miette de pain.) Et question idiote pour finir : quelles sont les chansons de Polnareff préférées de l'auteur de ce blog ? ^^

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  3. "une version porto-ricaine de Johnny Winter..."

    Mais non voyons, c'était Philippe Lucas ;-)

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  4. @ Thomas : En fait, j'aime beaucoup Polnarêve aussi, mais je trouve qu'il a déjà commencé à céder à la facilité. I Love You Because est d'une incroyable niaiserie, La Vie, la vie m'a quitté, n'en parlons pas, Tibili non plus... Mais ça reste très sympathique. D'ailleurs, c'est l'album qui était en partie en face B de la fameuse cassette.

    @ Ernesto : Le Bûcher va apparaître dans les liens de ce blog dans quelques minutes, c'est promis ! Par ailleurs, on ne peut pas vraiment dire de Ponareff qu'il est un "vieux beau", même tout bronzé. A la rigueur, je dirais "vieux beauf" mais c'est surtout un vieux moche. Déjà, jeune, c'était pas franchement ça...
    Pour le reste, je garde une telle dent contre lui que j'ai tendance à être vraiment dure avec mon ancienne idole, le type que j'ai écouté pendant au moins 5 ans exclusivement ou presque. Mais il a composé de vrais chefs-d'oeuvres, des trucs incroyables pour un Français à l'époque.

    J'ai beaucoup de chansons préférées... Comme ça, je dirais évidemment Le bal des Laze, Sous quelle étoile suis-je né, Le prince en otage, l'oiseau de nuit, Avec Nini... Mais il y en a plein d'autres en fait, surtout dans ses deux premiers albums. En plus, je connais quasiment tout par coeur, même les mauvaises, vu que je les écoute depuis mes 8-9 ans.

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